Visite a L`Exposition Universelle de Paris, en 1855

STATISTICS
Opening Date: May 15, 1855
Closing Date: November 15, 1855
Size of Site: 34 acres
Official Paid Attendance: 5, 162,330
Exhibitors: 23,954

ROYAUME DE PORTUGAL

Annexe, section des produits, travées 18 et 19, A et B. – Palais principal, galerie, travées 23 et 26, B à D.

L’exposition portugaise compte 441 exposants, représentés pour la plupart par des spécimens peu nombreux, dont les dimensions, particulièrement pour les produits naturels, lais- sent souvent à désirer. L’ensemble de cette exposition ne manque cependant pas d’intérêt, surtout pour les produits des nombreuses colonies portugaises. Le conseil des colonies à Lisbonne a bien voulu porter des soins tout particuliers au choix des échantillons destinés au grand concours de 48.55; C’est à lui que nous sommes redevables des produits de la province d’Angola et de Benguela, dans l’Afrique occidentale, de la province des iles du cap Vert, de Bissao, Cacheo, et dépendances dans la Guinée, de la province des iles de Saint-Thomé et Principe dans le golfe de Guinée, de la province de Mozambique, Sofala et Rios de Senna, à l’est de l’Afrique, de la province de Goa, Damao et Duc, dans l’Inde portugaise, et de la province de Macao, Solor et Timor, en (bine et dans l’Océanie.

Quelques exposants sont venus aussi représenter l’archipel dos Açores, et la province des iles de Madère et de Porto- Santo. L`industrie a encore peu de place dans l’exposition de la métropole, surtout dans celles des colonies. Les citations qui viennent d’être faites annoncent sufisamment une grande vannelle de produits agricoles, parmi lesquels les céréales, les huiles d’olives et les vins, ont une importance prépondérante.

Les blés tendres et les blés durs, les orges, le riz, le maïs, dénotent une production agricole des plus riches; le Portugal, en effet, suffit à sa consommation sous ce rapport; soixante échantillons d’huiles d’olives, envoyés par vingt producteurs différents; soixante-cinq exposants de vins de diverses provenances, suffisent pour caractériser ces deux produits principaux; les seuls vins de Porto alimentent un grand commerce d’exportation, principalement avec l’Angleterre; ceux de l’Estrémadure, assez semblables à notre bordeaux, sont peu connus; les muscats mousseux, cependant, seraient surtout appréciés avec faveur; les liqueurs et les fruits confits sont aussi très-remarquables.

Le miel et le carthame, les cuirs forts de Porto, les conserves de porc salé d’Evoror, les sucres raffinés de Lisbonne, figurent encore parmi les produits importants de la péninsule portugaise. Les cigares fabriqués avec les tabacs du Brésil et les bois de l’île de Madère, fournissent à l’industrie manu- facturière un contingent précieux.

Un modèle de pressoir et quelques grands vases de poterie qui portent dans le pays le nom de Talha, témoignent heureusement des procédés qui se sont perpétués en Portugal, pour la préparation et la conservation de ses vins spiritueux. Les produits de l’agave sont intéressants, cette plante pouvant être utilisée pour ses fibres textiles, dont la finesse leur a fait donner le nom de soie végétale ; elle sert aussi à la fabrication du papier et à la confection d’ouvrages en vannerie fort curieux. Le suif végétal de Mafarra est aussi une substance sur laquelle il est bon d’appeler l’attention publique. Une belle collection de bois et de lièges offre, dans l’exposition portugaise, d’autant plus d’intérêt que les bois de construction n’ont pas été oubliés à côté des bois d’ébénisterie.

Les marbres du Portugal, particulièrement le rose, les pou- dingues de même couleur, le jaune de Sienne qu’on ne trouve plus nulle part ailleurs, le jaune et le vert antiques, figurent avec distinction parmi les produits de la marbrerie. Un bel échantillon de malachite est placé parmi les produits minéraux de l’Annexe. Le combustible minéral, découvert en 1851, et qui est exposé par deux industriels, M. Croft et M. Lacerda, pourra donner quelque essor aux exploitations métallurgiques. M. Braga, de Lisbonne, figure auprès de ces échantillons de houille et de lignite, pour quelques spécimens de minerais d’étain, nouvellement reconnus.

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Les porcelaines de M. Pinto Basto, unies et décorées, sont d’un prix qui serait encore digne d’intérêt si l’exécution en était moins parfaite. Les essais de grandes pièces laissent encore beaucoup à désirer, mais les statuettes sont en général bien réussies, Les poteries noires de M. Damazio sont intéressantes par leur légèreté spécifique et leur bas prix. L’appareil de Woolf, qui accompagne dans le Palais quelques poteries, est assurément d’une très bonne fabrication. La fabrique de plombs de chasse de M. Cardozo a quelque importance ; les fontes de fer, pour usages domestiques, de MM. Furia et Damazio , leurs sièges en métal, peuvent être considérés comme point de départ dans l’emploi industriel des métaux ordinaires. La sellerie, la construction des instruments chirurgicaux, sont plus avancés ; les statuettes en filigrane d’argent, de Ribeiro, sont moins intéressantes par le dessin que par le travail, mais les pierres montées de M. Pinto e Souza, sont de tous points irréprochables.

Bien que les laines du Portugal ne figurent point en nature à l’Exposition, la fabrication des draps est considérable. Les draps fins de MM. Larcher et Neveux, qui fabriquent eux-mêmes leurs peignes et leurs cardes, sont en grande réputation ; les draps de troupe à 2 fr. 50 c. le mètre, sont confectionnés avec les laines du pays. La petite ville de Covilha se consacre spécialement à la draperie. La compagnie de Torres Novas s’occupe particulièrement des toiles à voile et des coutils ; la compagnie lisbonnaise de filature et de tissage emploie mille ouvriers et quatre-vingts chevaux de force, à la fabrication des tissus de coton, qui sont, pour la plupart, introduits par contrebande en Espagne. Bragance est le principal centre de la production séricicole, qui est habilement mise en œuvre à Lisbonne et à Porto. Les dentelles communes font l’objet d’une grande consommation ; les cordages de tous genres, particulièrement ceux fabriqués avec les fibres du phormium tenax, occupent à l’Exposition une place intéressante.

Les bouquets en moelle de figuier, imitant l’ivoire, sont les spécimens d’une industrie toute spéciale ; il en est de même des boites à fil décorées, qui ont une certaine vogue. Les gants en peau de chèvre, bien fabriqués, à bas prix, quelques meubles en marqueterie, d’un travail ordinaire, un très-beau guéridon de marbre ; enfin, de beaux spécimens d’impression, obtenus sur composition en filets de zinc, complètent l’énumération des objets qu’il nous a été donné de remarquer plus attentivement dans l’exposition du Portugal.

A L’EXPOSITION UNIVERSELLE

503 CLASSE XI.

Préparation et conservation des substances alimentaires.

Le règne végétal et le règne animal fournissent un très- grand nombre de matières alimentaires que l’industrie transforme de mille manières, pour le plus grand profit des consommateurs et du commerce. De ces matières, les unes peuvent être consommées dès qu’elles sortent des mains de l’industrie, ou sont dans un état qui leur permet d’attendre plus ou moins longtemps la convenance de l’acheteur : les autres, au contraire, no conservent les qualités qui les distinguent que durant un temps quelquefois fort court, et il faut les préserver de toute altération jusqu’au jour où on les utilise.

De là deux opérations industrielles distinctes : la préparation et la conservation des substances alimentaires. Des aussi deux divisions, deux titres sous chacun desquels il convient de classer les produits que renferme celle classe.

Les substances alimentaires qui n’exigent qu’une simple préparation, celles qu’on n’est pas obligé de soumettre à des procédés spéciaux de conservation, peuvent se rapporter à quatre groupes principaux : les produits tirés des céréales et des plantes féculentes; les sucres; les vins, alcools et liqueurs ; les chocolats, cafés et thés.

Les substances alimentaires qui constituent des conserves se peuvent distinguer aussi en quatre catégories : conserves de fruits, de légumes, de ragoûts, de viandes.

Malgré le nombre considérable et l’importance commerciale de ces substances diverses, nous ne pourrons en parler que d’une manière générale et par aperçu sommaire : cela, pour deux raisons.

Tous ces produits ne se cachent pas seulement derrière les vitrines, ils s’enferment dans mille enveloppes différentes, boilles, bouteilles, flacons, tonneaux, que le visiteur ne peut ouvrir. Or, pour juger du mérite de ces matières destinées à l’alimentation, il faut connaitre le procédé à l’aide duquel elles sont obtenues, il faut aussi apprécier e gusto la valeur propre de chacun d’eux. La dégustation même ne suffit pas toujours ; l’analyse chimique est souvent nécessaire pour dé- terminer la richesse des produits, celle des farines, par exemple; l’expérience, et une expérience prolongée, est quelque fois indispensable, notamment pour les conserves.

D’un autre côté, la description des procédés de préparation ou de conservation des substances alimentaires font l’objet tout particulier d’un volume de la Bibliothèque des chemins de fer, auquel nous devons naturellement renvoyer les lecteurs. Notre lâche se borne donc nécessairement à caractériser chacun des grands pays qui figurent à l’Exposition, par la nature de produits spéciaux qui le distinguent; à fournir quelques renseignements sur l’importance industrielle de quelques substances; à compléter le volume que nous venons de citer, par l’indication des procédés nouveaux qui offrent quelque intérêt.

En raison de l’importance tout actuelle de la question, la conservation des viandes appellera principalement notre attention.

Aucune série n’est plus nombreuse que celle où viennent se ranger les produits multipliés tirés des céréales et des plantes féculentes : farines de toute espèce, gruaux et grésillons, grains décortiqués et pilés, gluten granulé et en feuilles; pâtes alimentaires indéfiniment diversifiées pour potages, purées, crèmes; pâtes d’Italie, macaronis, nouilles, vermicelles, semoules; fécules, amidons, dextrine, glucose; sagou, tapioca, pains de toutes natures, biscuits de toutes sortes et de toutes formes ; biscuits de mer, de Reims, biscuits glacés; petits fours, pâtisseries sèches… ; l’énumération est impossible.

Il est également difficile de nommer toutes les sortes de vins, tous les mets en conserves qui ont été envoyés à l’Exposition ; les noms sans la dégustation ne diraient, d’ailleurs, pas grand-chose.

Ce qu’il est facile de remarquer c’est que, pour la beauté des farines, et pour la variété des transformations auxquelles l’emploi des céréales peut donner naissance, la France avec l’Algérie se place au premier rang. Le Canada et la Guyane anglaise font honneur aux iles Britanniques pour leurs farines et leurs fécules. La Prusse et l’Autriche, l’Espagne et les villes Anséatiques ont aussi de beaux échantillons.

Les pàles alimentaires des États-Sardes, celles de la Toscane surtout sont d’une finesse étonnante, et qui justifie bien la réputation proverbiale de l’Italie en ce genre. La France seule peut lutter avec ces produits dont les autres pays ne sont pas riches. Les États Américains, nos colonies et les colonies de nos voisins ont des produits féculents particuliers, empruntés a des plantes de leurs zones. Ainsi la république Mexicaine présente des fécules de Junipha Janihoc, ou cassare; d’Arrou-root, fournie par les racines, ou plus exactement par les tiges souterraines du Jaranta arundinacea et autres plantes, même par le Janipha Nanih’c que nous venons de nommer; des sagrus, que peuvent fournir beaucoup de végétaux, tels que le (yras circinalis, l’Areca oleracea, nomme chou palmiste aux Antilles, le Phirnir furinifera, l’Arenga sacharifera, les Sagus fariniſera et Rumphui, c’est-à-dire des plantes de la grande et belle famille des Palmiers ou de celle des Cycadees, qui lui est voisine.

Outre ses cassaves douces et amères qu’elle nous offre en tranches sèches, en farine, en fécule, en pains, la Guyane angla se présente encore des matières féculentes nombreuses tirées de diverses espèces d’ignames, de la palaïte douce, de la banane, de la mangue, et d’autres plantes encore. Tous ces produits sont étudiés avec soin au point de vue hygiénique, économique et commercial; on sent que les colons anglais se préoccupent beaucoup des moyens d’utiliser les produits naturels et facilement obtenus dans leurs colonies. Quelques mots suffiront pour faire comprendre l’importance de ces végétaux sous le climat tropical, et même comme objet d’importation.

On peut récolter à l’hectare vingt-quatre mille kilo gr. environ de racines fraiches qui donnent la cassave; cette récolle produit huit à neuf mille kilo gr. de farine, six à sept cents kilo gr. de cassare p, sucre epais i de la plante, tresusite cutite condiment, surtout pour preparer le pepperpot des Indes Occidentales, et entia plus de deux cents kilogr. de fécule. Le produit en argent serait de cinq mille francs environ par hectare, et les colons anglais pensent que la farine de cassave serait bien accueillie sur les marchés d’Ecosse et d’Irlande , si l’exportation en devenait quelque peu importante. Séchées dans la saison favorable et transportées en tranches sur ces mêmes marchés, les racines dont il s’agit seraient peut-être mieux reçues encore, car, en les faisant tremper un peu avant de les faire cuire, elles reprennent à peu près leur état primitif, et deviennent un succédané important de la pomme de terre.

Si l’on pouvait trouver une méthode facilement praticable et suffisamment économique de conserver les bananes, ce fruit est tellement abondant aux colonies et à si bas prix, que l’exportation en deviendrait avantageuse. Un régime ou grappe, mûri sur un seul pied, se compose souvent de 460 à 480 fruits, et pèse plus de 30 kilo gr. En admettant le poids moyen de 17 kilo gr. par régime, on trouve qu’une plantation de bananiers, sur une surface de 100 mètres carrés environ. donnerait 16 à 17 cents kilogrammes de matière alimentaire. 15 kilo gr. de froment ou 45 kilo gr. de pommes de terre; le produit des bananes serait donc à peu près 120 fois celui du froment et 40 fois celui de la pomme de terre, en poids. Il est vrai que la matière alimentaire fournie par les bananes ne peut être comparée, à poids égal, à celle qui vient du froment ou même des pommes de terre; mais M. de Humboldt estime qu’à surface égale et proportionnellement à la valeur nutritive réelle des deux plantes, la banane peut nourrir 25 fois plus d’individus que le froment. On comprend donc que l’attention des colons se porte sur cette plante; qui peut, comme nous l’avons vu déjà, fournir encore une matière textile de quelque valeur.

Nos colonies et les colonies étrangères ont envoyé de beaux échantillons de sucre; la France, et en particulier le département du Nord, expose des sucres de betteraves bruts et claircés, blancs et candis, et à toutes les périodes de la fabrication. La Belgique et la Prusse, puis, à une certaine distance, l’Autriche, montrent aussi, par leurs produits, que la fabrication du sucre de betteraves a pris chez elles une importance de premier ordre.

 

On sait que la maladie qui sévit depuis quelques années sur la vigne a inspiré l’idée d’extraire l’alcool des betteraves, et qu’un grand nombre d’usines se sont montées à cet effet. Les pays que nous venons de signaler comme exploitant la fabrication du sucre de betterave sont aussi ceux qui ont envoyé à l’Exposition des alcools nouveaux. Celle industrie récente survivra certainement à la cause qui l’a produite accidentellement, et il est probable qu’elle ne bruira pas à la fabrication du sucre, comme elle l’a fait dans la campagne dernière. En effet, les betteraves à sucre demandent des terrains particuliers qui ne fournissent pas aux plantes certains sels qui s’opposeraient à la cristallisation. Pour l’alcool, ces sels ne sont pas le moins du mon i.e. un obstacle, de sorte qu’on pourra cultiver sur des sols particuliers et distincts les betteraves à sucre et les betteraves à alcool, L’agriculture y gagnera en amélioration de ses méthodes , en augmentation d’engrais et de bétail. Le consommateur y gagnera aussi, spécialement en production de viande, car les résidus de la distillation sont utilement employés dans l’alimentation des animaux.

Les grains, les fruits et certains tubercules ont aussi été exploites pour la fabrication de l’alcool. La Belgique nous montre ses genièvres; la Prusse et l’Allemagne, des eaux-de- vie de grain ; l’Autriche, des alcools de prunes; la Corse et la Toscane, des alcools (asphodèles; plusieurs de nos départements, des alcools de sorgho, de safran, de topinambour. L’avenir seul peut dire la valeur industrielle de ces alcools divers, qui ne paraissent pas, cependant, devoir le disputer avec quelque succès aux alcools de vin, de betterave el de grain.

Tout fait espérer, d’ailleurs, que la vigne n’est pas con- damnée à disparaitre, ni même à nous priver longtemps encore de ses produits.

La France a une belle place dans l’industrie vinicole, et elle présente au Palais de l`Industrie de nombreux échantillons bien capables de sauvegarder ne vieille réputation. L’Autriche expose aussi un grand nombre de vins fameux tirés de tous les points de son empire : Moravie , Bohème, Hongrie, base et haute Autriche, Transylvanie, Esclavonie, Styrie, Venise. Co magnifique et immense cône, tout entière formé de bouteilles, figure de la manière la plus heureuse l’importance de la production des vins pour ce grand État.

Le duché de Bade, le grand-duché de Hesse, la Prusse, viennent se grouper auprès de l’Autriche pour des vins ana- logues.

Les États-Sardes, la Suisse, la Toscane, présentent aussi des vins empruntés aux meilleurs crus.

L’Espagne et la Grèce montrent leurs vins particuliers. C’est à côté des vins d’Espagne que se placent les vins de l’Algérie. Nous avons déjà dit que notre colonie africaine peut s’approprier toutes les productions hispaniques, et particulièrement les vins.

Il y a longtemps que l’usage du vin s’est étendu à toute T’Europe méridionale, grâce au moyen de conservation et de transport qu’offrait une invention toute gauloise, celle des tonneaux. De l’Europe, quelques plants ont passé au nouveau continent, qui possède plusieurs espèces de vignes sauvages; l’Afrique a obtenu le vin de Constance, en plantant au Cap un cep de Bourgogne; l’Australie récolte des vins dont elle présente des échantillons au Palais de l’Industrie.

Pour la France, la production des vins est une des plus importantes et des plus caractéristiques de son sol ; elle four- nit au commerce les variétés en quelque sorte infinies de ses Bourgogne, Beaujolais, Champagne, Bordeaux, Côle-Rotie, vins du Midi et autres.

On estime que l’étendue cultivée en vignobles est de près de 2 millions d’hectares, produisant environ 44 millions d’hectolitres de vin. En 1853, il est sorti des entrepôts de Bercy el de Paris, 936 819 hectolitres; en supposant, ce qui est très-probable, que celle quantité ait été consommée à Paris même, elle porte à un peu plus de 93 litres la consommation individuelle, pour une population d’un million de têtes, c’est-à-dire à 1 litre par tête tous les quatre jours. C’est là une consommation relativement élevée, surtout pour les villes de la moitié septentrionale de la France, où l’on consomme de la bière ou du cidre et peu de vin; mais on voit qu’elle n’a cependant rien de bien extraordinaire. Il est même certain que cette moyenne cache des termes extrêmes dont les maxima ne s’appliquent pas à la consommation de la partie de la population livrée à des travaux pénibles.

L’Allemagne et la Prusse ont envoyé des échantillons de bière; l’Espagne, des échantillons d’un certain vin, qualifié de vin d’orange, dont nous ne connaissons que le nom, et que nous retrouvons à l’exposition des États-Sardes et à celle de notre colonie de la Martinique.

A côté des liqueurs faites en France, viennent se placer celles de ses colonies de la Réunion, de la Guadeloupe et de la Martinique, qui ont un cachet local, comme le bayrhum de la Guadeloupe, obtenu de la distillation du myrtus pimenta.

Le grand-duché de Bade expose son kirsch Waser de la forêt Noire, pour lequel nos départements vosgiens entrent en concurrence avec lui; il présente aussi ses eaux de myrtilles et des liqueurs. La Prusse parait s’attacher à tout ce qui peut vulgariser l’arôme du punch : liqueurs, essence de punch au rhum, sirops de punch, etc.

Les Pays-Bas soutiennent leur antique réputation, et présentent leurs liqueurs fines à côté de leur sucre rattine et de leur pain d’épice.

Ils présentent aussi, dans leur exposition coloniale, do belles collections de cafés el de thés, auxquels nous opposons les cafés de vos colonies, auxquels l’Angleterre oppose ses thés de l’Inde. Ces collections sont nombreuses, très variées, et peuvent donner lieu à une étude technique extrêmement intéressante.

On sait que la culture du café est ancienne , et qu’elle existait en Éthiopie de temps immémorial, quand les Arabes de l’Yémen récurent cet arbre précieux de leurs voisins d’Éthiopie. Il est probable que Mahomet, en déconseillant l’usage du vin, contribua à répandre l’usage du cale, qui ne pénétra cependant que tard en Europe. Les premiers cafés publics s’établirent en 1555 à Constantinople, en 1613 à lenise, en 1611 à Marseille, en 1652 à Londres, en 1653 à Paris.

Quand Louis XIV reçut i ambassade de Mohamed IV, l’envoyé Soliman- Aga offril au grand roi une boite de café, comme un présent des plus rares. L’usage de la nouvelle liqueur resta continu dans quelques maisons de grands seigneurs, attaque par les uns, défendu par les autres, mais s’étendant peu. Heureusement les médecins prohibèrent le café comme dangereux pour la santé et comme un poison des plus sûrs, quoique des plus lents. Chacun voulut dès lors s’empoisonner, et l’usage du café se généralisa bientôt.

Le premier café public de Paris, fondé par l’Arménien Paskal, qui accompagnait l’ambassadeur turc auprès de Louis XIV, ne réussit pas. Aujourd’hui, le prix des établissements de cette nature atteint un chiffre qu’on serait tenté de considérer comme faux, s’il n’était consciencieusement con- trôlé. Ainsi, le fonds du café Villette s’est vendu 250 000 fr. ; celui du café de la Rotonde, 312 000 fr.; celui du café de Foix, 524 000 fr. Il est vrai que ces maisons ne débitent pas seulement du café ; mais le café a été l’occasion de leur développement, et reste encore la base principale et la plus lucrative de leur exploitation.

Ce sont les Hollandais qui ont commencé les premiers à cultiver le café dans leurs colonies : Van Horn le porta, en 4690, de Moka à Batavia. Plus tard, en 1706, Henri Zwaardekroon l’introduisit en Hollande, et un pied du précieuse arbuste fut apporté de Hollande au Jardin des Plantes de Paris, en 1714.

Tenu en serre chaude comme objet de curiosité, le caféier se multiplia cependant assez à Paris sous les yeux d’Antoine de Jussieu, pour qu’on songeât à en doter nos colonies. Déjà, en 1717, la Compagnie des Indes de Paris avait fait transporter quelques plants de Moka à Bourbon, en 1720, le capitaine De Clieux reçut, du Jardin des Plantes de Paris, trois pieds de caféier pour les transporter à la Martinique. Dans la traversée , qui fut longue et pénible, au point que les officiers, comme l’équipage, durent être mis à la demi-ration d’eau, deux pieds périrent malgré le dévouement de De Clieux qui partageait sa ration avec ses plantes. Un seul caféier par- vint en assez bon état à la Martinique , et c’est lui qui est la souche de ces vastes plantations qui couvrent aujourd’hui les Antilles, toutes les contrées chaudes du continent américain. Leur point de départ est dans les serres du Muséum d’histoire naturelle de Paris.

On peut cultiver 2500 arbres par hectare ; les caféiers rap portent à leur troisième année, et durent de quarante à quarante-cinq ans. Le terroir et sans doute les conditions extérieures ont modifié cette plante en variétés très-différentes d’arôme, et fort distinctes dans le commerce.

Durant la dernière période décennale, la consommation moyenne a été, par an, de 45 millions de kilogrammes de café en Angleterre ; elle a été de 16 millions de kilogrammes en France. Eu égard à la population respective des deux pays, cela donne un demi-kilogramme ou 500 grammes par tête, pour l’Angleterre, et deux cinquièmes de kilogrammes ou 400 grammes par tête, pour la France.

Il est à désirer que la consommation du café s’élève en France, dans l’intérêt de nos colonies, dans celui de nos sucreries indigènes, et aussi dans l’intérêt de la santé de nos populations. On a remarqué, en effet, que la consommation du café remplace celle des alcools quand ceux-ci deviennent très-chers ; c’est ce qui s’est produit notamment en Belgique, c’est ce qui se produira peut-être aussi chez nous, sous l’influence des circonstances atmosphériques qui diminuent notre production alcoolique, et sous l’influence des mesures législatives qui frappent les alcools d’un droit plus élevé. Dans cette prévision , nos colonies doivent faire de grands efforts pour entrer plus largement dans la consommation de la métropole. Aujourd’hui, les cafés de l’Inde figurent pour un quart dans notre consommation; nos cafés coloniaux, pour 7 à 8 pour 100 seulement Il ne faudrait pas que notre marché fût envahi par les cafés de l’Inde, du Brésil, de Java. Comme le café, le thé est devenu d’un usage presque général en Europe, où son introduction ne remonte pas au-delà du xvire siècle. Il nous vient de la Chine , où il constitue la principale richesse du pays et où il est répandu presque par- tout, contrairement à ce qu’on a cru pendant longtemps. Les procédés de culture et surtout de préparation, usités dans l’empire chinois, sont restés inconnus jusqu’en ces derniers temps, mais les recherches des voyageurs, et en particulier celles de M. Fortune, ont jeté de grandes lumières sur ces questions.

De la Chine , la culture du thé a été importée par les Anglais dans leurs possessions de l’Inde, et elle y réussit très- bien, surtout dans l’Assam, où elle a lieu sur une très-grande échelle; les thés d’Assam arrivent aujourd’hui à Londres.

Au Brésil, le thé a réussi au point de vue cultural, mais non au point de vue commercial; c’est-à-dire que la plante bien soignée y a prospéré, mais que le produit revenait excessivement cher, et restait bien loin des thés chinois par l’arôme.

Essayée à l’Ile-de-France, la culture du thé a donné des produits jugés très-médiocres. Tentée en France même, celte culture n’a fourni que des produits insignifiants comme qua- lité et comme quantité. On voudrait l’introduire aussi, avec tant d’autres cultures, dans notre colonie algérienne, qu’on semble vouloir charger de produire tout ce qui est exceptionnel. Tout en applaudissant aux efforts consciencieux de ceux qui se proposent un tel but, nous ne pouvons approuver leur enthousiasme un peu irréfléchi, ni partager leurs illusions que nous considérons comme dangereuses.

On peut estimer que la production annuelle du thé s’élève en Chine à 1 milliard et demi de kilogrammes; la consommation seule de ce pays en exige 900 millions de kilogrammes. L’Angleterre, où furent importés 56 kilogrammes de thé en 1669, en consomme aujourd’hui 17 à 18 millions de kilo- grammes par an, c’est-à-dire 750 grammes environ par tête. En France, l’usage du thé se répand peu ; longtemps, et surtout dans les départements méridionaux, on n’y a accepté le thé que comme médicament, comme digestif et tonique. Nous n’en consommons que 150 000 kilogrammes, moins de 5 grammes par tête et par an. L’Angleterre consomme donc plus de café et plus de thé que la France.

Les Hollandais , qui avaient abandonné la culture du thé, y reviennent maintenant avec énergie, et l’on peut dire avec succès, si l’on en juge par les échantillons remarquables que nous montrent leurs colonies des Indes-Orientales.

Nous ne pouvons mentionner que pour mémoire, et sans rien préjuger sur leur valeur absolue, les succédanés du café présentés par des exposants de France, d’Autriche et d’autres pays; aussi bien que les cacaos et chocolats exposés sous mille formes appétissantes à coté de bonbons, de gelées, de produits divers de l’art si inventif de la confiserie.

Nous arrivons aux conserves.

Par la nature des substances qu’ils exposent dans cette catégorie, les divers pays se caractérisent nettement.

La France a dans ce genre, l’exposition la plus variée, grâce à la variété même de son climat et à sa double situation de puissance maritime et continentale. Ainsi, elle présente d’admirables fruits bien conservés, qui sont, pour Bordeaux, par exemple, l’objet d’un grand commerce; des ragouts de toutes sortes, préparés par les mains habiles des Chevet et enfermés dans des boites qui font le tour du monde ; des légumes de toute nature, qu’elle a l’honneur d’avoir préparés la première par l’emploi de procédés dont nous dirons tout à l’heure quelques mots. 

Elle commence même à se préoccuper de la préparation et de la conservation des viandes : nous allons aussi parler de ces essais.

L’Espagne, la Grèce, les pays méditerranéens en voient des conserves de fruits magnifiques, des figues, des olives, des câpres, des raisins de Corinthe. Il y a, dans cette catégorie de produits, une belle place à prendre pour notre Algérie qui est appelée, non-seulement à nous vendre des primeurs, mais aussi à exploiter très avantageusement l’industrie des fruits conservés et confits.

Nos colonies présentent les fruits très variés de leurs climats. L’Autriche, la Prusse, la Belgique exposent très-peu de conserves.

Les Iles Britanniques et leurs colonies se distinguent par de splendides jambons, des fromages énormes, des viandes salées, des conserves destinées à l’approvisionnement de la marine. On sent la préoccupation d’un peuple, grand consommateur, ayant à pourvoir aux besoins d’une flotte immense de nombreux baligents de commerce. Les jambons d’York sont admirables ; ceux du Canada ont une magnifique apparence, même les jambons d’ours, qui tentent l’appétit curieux de plus d’un visiteur à l’Exposition. Les tonnes de viandes salées, envoyées par l’Australie, paraissent fort bien conservées. On admire dans l’exposition des Iles Britanniques un porc tout entier à l’état de conserva, transformé en une véritable galantine.

Dans le même ordre de produits, les Villes Anseatiques offrent aussi de belles provisions aux navires du commerce : l’armée anglaise a beaucoup tiré de Lubeck pour la guerre d’Orient.

Les procédés de conservation, usités dans tous les pays, sont, en général, ceux d’Appert, perfectionnés par Fastier, el, pour le lait, ceux de M. de Lignac. Nous revoyons, à cette exposition, les produits de la maison Chollet et Cie, et ceux de la maison Morel Patio et Cie, qui exploitent des procédés différents de conservation des légumes et sont aujourd’hui fusionnés. Ils ont de nombreux imitateurs.

Il est inutile de faire comprendre l’importance des procédés de conservation des légumes pour la culture potagère , pour les consommateurs, pour le commerce. Tout le monde sait l’extension croissante que prient, depuis une vingtaine d’an- nées surtout, la production des légumes et des fruits, non- seulement autour des grands centres de population comme Paris, mais sur presque tous les points du territoire.

L’établissement de voies de communication plus nombreuses et plus rapides permet aussi l’envoi de ces produits, d’un point du pays à l’autre, de la Provence, du Languedoc, de l’Algérie sur Paris. Il est probable, il est certain que la culture en grand des légumes et des fruits se généralisant, et le réseau des chemins de fer s’étendant, la circulation de ces denrées sera plus importante et plus complète, qu’elle aura même les contrées du Nord pour tributaires , et que nos départements méridionaux, avec notre Algérie, trouveront là des relations commerciales fort fructueuses, une source inespérée de prospérité.

Les procédés nouveaux de conservation permettent à l’horticulture française de prendre un développement plus large encore, de garder pour ainsi dire indéfiniment des produits souvent éphémères, de les réduire sous un volume tel, qu’on les puisse exporter au loin avec profit. C’est là le grand service que peuvent rendre les procédés de M. Massonexploités d’abord par la maison Chollet et Cie, et qui ont déjà fourni à nos armées de terre et de mer des cargaisons entières de légumes : le régime alimentaire de nos marins et de nos soldats s’est ainsi sensiblement amélioré.

Ces procès les consistent dans une prompte dessiccation par des courants d’air chaud , après épluchage, puis dans une compression sous la presse hydraulique. Les légumes sont de la sorte réduite en plaques qui s’emballent facilement. Une caisse de fer-blanc, de la capacité d’un mètre cube , peut renfermer 23000 rations de 25 grammes chacune, représentant 200 grammes environ de légumes frais. Il suffit d’immerger dans l’eau froide ou tiède la ration sèche, durant cinq ou six heures, pour que les légumes reprennent leur volume, leur aspect, leur couleur. Ou les soumet alors à la cuisson selon les habitudes ordinaires.

Les administrateurs de la marine des pays étrangers ont adopté ces légumes ainsi préparés ; l’administration de la marine des États-Unis est livrée, à ce sujet, a des expériences dont nous parlerons plus loin.

Sur les traces de M. Masson, qui a eu l’honneur d’ouvrir à l’industrie cette voie nouvelle, ou elle réalisera certainement encore bien d’autres progrès, d’autres expérimentateurs se sont occupés du même problème. Un des plus zélés est M. Gannat, plus connu pour ses procèdes d’embaumement que par ses methodes de conservation des matières alimentaires. Préoccupe d’abord des moyens de conserver les viandes de boucherie, M. Gannat parvint bientôt à conserver parfaite- ment les végétaux les plus difficiles à dessécher, ces plantes grasses qui ont toujours fait le désespoir des expérimentateurs. Il arriva enfin à trouver le moyen de conserver les légumes d’une manière si parfaite, que l`Académie, à laquelle il soumettait ses résultats, jugea convenable de recommander la méthode au ministre de la marine, comme prouvent rendre de grands services dans l’approvisionnement de la flotte

Pour ne pas aure à sa découverte pour les idées lugubres et les préjugés que pouvait éveil et son nom, M. Gunal exploiter son procède nouuni ulre nom que le sien, sous celui de la maison Morel-Fatio et Cie, qui est la lie, après la mort d’inventeur,  et le propriétaire de la méthode, et qui expose au Palais de l’industrie comme associe de la Maison Choldet et Cie.

Celle méthode n’a rien de commun avec les procède, d’embaumement auxquels auteur dont sa réputation européenne; elle dittere complètement de la méthode de M. Masson. Celle- ci deb ure to jours plus ou moins les plantes en les réduisant en plaques, i les rend tout à lut mecos nassables jusque à ce qu’elles aient elle souinist’s litre de l’eau, l’autre, au contraire, les garde avec tous leurs caractères, forme el couleur.

En 1855, la maison Morel-Fabio et Cie a soumis à la préparation, au moyen de huit appareils cubagt chacun deux métrée, plus de 6zo male kilogrammes de légumes ; elle a livré une plus grande quantité de produits au commerce en 1854; elle vient de porter ses appareils au nombre de 20, à Paris, et de fonder au Mans une succursale qui utilisera 14 de ces appareils un peu plus grands encore que ceux de Paris.

Si nous ne donnons pas de renseignements de même nature sur la maison Chollet et Cie, c’est que le lecteur trouvera, dans le volume de la Bibliothèque des chemins de fer, qui traite des Substances alimentaires, des détails sur les procédés Masson et sur le travail de la fabrique de MM. Chollet et Cie, tandis qu’il n’est pas question dans ce livre des procédés exploités par MM. Morel-Fatio et Cie. Nous essayons de compléter ici ce chapitre.

D’après des expériences faites à Brest, sur les ordres du préfet maritime, et aux États-Unis, par l’administration de la marine, il semblerait que les deux procédés ne réussis- sent pas également bien pour certaines plantes, qu’ils ont en quelque sorte une spécialité en raison de la nature des légumes sur lesquels ils s’exercent.

La commission de Brest a reconnu que les légumes préparés par MM. Morel-Fatio et Cie ont gardé toutes leurs qualités, leur odeur, leur saveur, leur couleur; que les juliennes échaudées des mêmes industriels paraissent supérieures aux choux desséchés par le procédé Masson; que la variété et la saveur de leurs légumes les feraient préférer indubitablement par les marins, qu’elles cuisent en moins de temps, avec moins d’eau, et, par conséquent, avec une moindre dépense de combustible.

D’autre part, la commission américaine, en comparant les choux préparés d’après le procédé Gannal aux choux préparés d’après le procédé Masson, a trouvé les premiers mauvais pour les approvisionnements de la marine, et les seconds très-bons. Elle a confirmé le jugement de la commission française sur les juliennes, tout à fait supérieures d’après le procédé Gannal, médiocres d’après le procédé Masson. Les carottes ont été trouvées excellentes de part et d’autre. Les pommes de terre, excellentes d’après le procédé Gannal, se sont montrées d’un gout désagréable d’après le procédé Masson.

 

Nous ne pousserons pas plus loin cette analyse des rap ports des deux commissions. Ce que nous en avons dit suffitpour prouver que les deux méthodes, comme toutes les méthodes du monde, ont leurs avantages et leurs inconvénients, les défauts de leurs qualités. Nous ne comparons pas les prix de revient sur lesquels nous n’avons pas de données.

Ce qui parait préférable dans le procédé Gannal, c’est la belle apparence des légumes et la porte moindre de leur arome; ce qui semble plus avantageux dans le procédé Masson, c’est la condensation des produits sous un volume moindre, qui les rend plus commodes pour les transports.

Nous l’avons dit, il y a encore des progrès à réaliser dans cette industrie dont la France doit surtout recueillir de grands avantages, et pour ses départements moins septentrionaux, et pour ses provinces algériennes. D’autres compléteront l’œuvre commencée avec tant de succès déjà par les hommes qui ont si bien mérité de leur pays.

La conservation des viandes, plus difficile encore que celle des légumes et plus importante, préoccupes-en ce moment beaucoup d’expérimentateurs ; nos compatriotes se distinguent à l’Exposition par leurs tentatives, et nous dirons même par leurs succès.

C’était déjà un point important que d’avoir pu conserver dans des boites, d’après les procédés perfectionnés d’Appert, des viandes qu’on pouvait transporter au loin sans qu’elles s’altérassent. Les essais nouveaux promettent davantage.

C’est dans la période des vingt-cinq années dernières qu’on a commencé à s’occuper sérieusement et avec suite du problème; les voyages aux terres arctiques, la recherche d’un passage au nord-ouest, les excursions dans des régions inaccessibles ont fait sentir l’avantage qu’il y aurait à pouvoir s’approvisionner de viande. La marine militaire et marchande a compris aussi de quelle utilité serait une pareille ressource.

Outre leurs avantages hygiéniques, les conserves de viandes en boites de petites dimensions obtiennent de grands avantages économiques sur les viandes salées de bœuf ou de porc. Le procédé est simple, l’appareil peu coûteux ; on évite la dépense des barrigues, les frais d’arrimage, les pertes résultant du coulage, de la réduction et de la présence des os. De plus, si un accident arrive à un baril de viande salée , la fuite de la saumure peut compromettre tout le contenu, tandis que les viandes gardées dans des boites de fer-blanc ne courent pas de risque ; une boite endommagée n’occasionne tailleurs que la perte d’un à deux kilogrammes de viande.

Sous la forme que les nouveaux procédés donnent aux viandes, les avantages semblent devoir être plus considérables encore. Voici sur ce point les renseignements que nous pouvons présenter. Une société s’est constituée sous le nom de Compagnie alimentaire de Buenos-Aires, pour exploiter des procédés particuliers de conservation des viandes dans l’Amérique méridionale, et partout où existent de grands troupeaux d’animaux qu’on tue seulement pour en obtenir le suif et le cuir. Cette société expose des viandes, des tablettes, des biscuits de viande obtenus par ses méthodes qui restent son secret.

D’après les exposants, les viandes seraient conservées fraiches durant un temps illimité, et ils en montrent des échantillons préparés depuis quinze mois qui seraient, d’a- près eux, exactement aujourd’hui ce qu’ils étaient au premier jour. La viande conserverait sa transparence, sa couleur rouge; elle laisserait, après quinze mois de conservation, suinter le sang sous le couteau, et ne donnerait d’autre saveur que celle de la viande fraiche.

Pour la préparer en bouilli, il suffirait de la placer dans l’eau et de la soumettre à l’action du feu, absolument comme on le fait de la viande qu’on vient d’acheter chez le boucher; pour la rò ir, on la ferait préalablement tremper quelques instants dans l’eau tiède.

La viande préservée par les procédés propres aux exposants, peut être transportée sans être enfermée dans des vases privés d’air, sans plus de précautions qu’on n’en prend pour les biscuits de mer.

Les tablettes présentées par la même société n’auraient aucune analogie avec les tablettes de bouillon dont il a déjà été question dans le commerce. La viande à l’état frais, n’ayant subi ni l’action de l’eau ni celle du feu, y serait associée à des légumes secs, de manière à donner des tablettes qui contiendraient, sous un poids très-faible, tous les éléments du pot- au-feu. Une ébullition de vingt minutes, une demi-heure tout au plus, suffirait pour donner un excellent bouillon.

 

Ces tablettes pourraient ne contenir que de la viande de baeuf, et permettre ainsi de faire à volonté une soupe au paio on vermicelle, une semoule ou tout autre potage; elles pourraient aussi fournir les éléments du bouillon, unis à ceux d’une julienne, aux choux ou à l’oseille. Il existerait aussi des tablettes donnant du bouillon de poulet ou du bouillon de veau avec de l’oseille. Pour ces préparations, tous les déchets de l’étal pourraient être utilisés, et les inventeurs pensent que leurs procédés fourniraient à bon marché des bouillons aux armées de mer et de terre, aux voyageurs, aux habitants des campagnes, aux bureaux de charité.

Enfin la même société prépare encore un biscuit de viande qu’elle présente comme supérieur aux produits de ce nom qui ont été imaginés jusqu’ici.

Depuis quelque temps déjà, la marine américaine et les voyageurs du nouveau continent font usage d’un biscuit de viande qui porte le nom de son inventeur, Gail Borden, et qui a attiré vivement l’attention à l’Exposition universelle de Londres. Ce biscuit présente, sous la forme la plus simple et la plus économique qu’on eut encore trouvée, une combinai- son de farine de froment et de viande de bœuf; c’est une sorte de gâteau plat, sec, inodore, cassant, qui se peut garder un très-long temps sans s’altérer. Avec de l’eau chaude et un assaisonnement approprié au goût du consommateur, on obtient rapidement ainsi une soupe savoureuse, agréable, très-nutritive, ayant quelque chose de la consistance du sagou.

D’après le jury de Londres, une livre de ce biscuit contient la matière nutritive de cinq livres de bœuf de première qualité, moins la graisse, mélangée avec une demi-livre de la meilleure farine. Il suffit d’une once de ce biscuit râpé et bouilli dans une pinte d’eau, pour avoir un excellent pelage d’une haute valeur nutritive. L’inventeur affirme, et le jury appuie celle affirmation, que dix livres de ce biscuit, ajoutées à une convenable quantité d’eau, fournissent un aliment suffisant, par son volume comme par sa faculté nutritive, non-seulement pour maintenir un homme en bonne santé, mais pour entretenir les forces d’un travailleur durant un mois.

L’analyse chimique a montré que la viande , aussi bien que la matière amylacée, existent dans ce biscuit sans altération aucune. Il contient en moyenne près de 32 pour 100 des principes azotés qui constituent la chair musculaire.

Dernièrement, l’Académie des sciences a été appelée à examiner un biscuit-viande préparé par M. Callamand, avec de la farine de pur froment, de la viande cuite et des légumes. D’après l’auteur, 250 grammes de ce biscuit donneraient, avec 2 litres d’eau et un assaisonnement convenable, 6 rations de soupe grasse. Des expériences faites par la commission, au Conservatoire des arts et métiers, sur les indications de l’inventeur, ont donné pour la composition de ce biscuit un peu plus de 83 pour 100 des matières qui entrent dans la confection du biscuit ordinaire, et un peu moins de 17 pour 100 de viande sèche et assaisonnement sec.

La commission a préparé, avec 250 grammes de ce biscuit, une soupe analogue à celle qu’on obtiendrait avec du biscuit ordinaire trempé dans un bouillon gras, mais contenant de plus toute la chair cuite à laquelle le bouillon doit ses qualités. Notre compatriote aurait donc obtenu un résultat au moins égal à celui qui recommande le biscuit viande de Gail Borden, et fournirait ainsi le moyen de se procurer, en peu de temps, une nourriture agréable, substantielle, avantageuse dans tous les cas de guerre, d’expéditions maritimes ou de voyages lointains.

Le biscuit-viande qu’expose la Compagnie alimentaire de Buenos-Aires n’aurait rien de commun avec les produits de même nom dont nous venons de parler. Outre les éléments des autres biscuits homonymes, il contiendrait la viande fraiche, ni cuite, ni salée, en proportion plus ou moins considérable et variable à volonté. Des expériences viendront sans doute confirmer toutes les promesses de cette exposition.

Une autre société, la Société générale de conservation des viandes, dont les essais ont préoccupé dernièrement l’opinion publique, nous montre des viandes et des substances de toute sortes conservées à l’aide d’une matière tirée de la viande même, et désignée sous le nom de conservatine. Pour expliquer en quoi consiste celle conservatine et comment on l’obtient, nous résumerons les opérations exécutées, au mois de juillet dernier, devant la commission supérieure des subsistances militaires de la guerre, chargée de se rendre compte de la valeur du procédé.

Un bœuf, du poids de 384 kilogrammes sur pied , abattu et divisé en quatre quartiers, selon la pratique de la boucherie parisienne , a été découpé en morceaux de 2 kilogrammes au minimum et de 5 kilogrammes au maximum.

Le boucher désosse à mesure qu’il découpe, et il s’applique, en formant ses morceaux, à suivre les aponévroses, de manière à laisser intactes el å isoler les masses musculaires des membres. Il est important de ne pas attaquer sans nécessité le corps du muscle, de ne pas l’inciser inutilement, de conserver, en un mot, la surface des morceaux aussi lisse et unie que possible. Dans ce but, ont enlevé tout ce qui fait saillie, les graisses, les vaisseaux sanguins qui ne pénètrent pas dans l’épaisseur des muscles, aussi bien que les ecchymoses, s’il y en a, et l’on ouvre toutes les cavités qu’on rencontre. Il est facile de comprendre qu’on évite ainsi le séjour de l’air dans la masse, et que la surface bien unie ne laissera aucune brindille saillante ou l’altération trouverait prise.

En même temps que se préparent les morceaux destinés soit å être bouillis , soit à être rôtis, soit à rester crus, on met de côté tout ce qui doit servir à la préparation de la conservatine, c’est-à-dire les os dégarnis de leur moelle et cassés au couperet en petits fragments, la queue et tous les menus débris qui résultent du découpage, toutes les chaires tendineuses et de basse boucherie, telles que les gites, le collier, les joues, etc.

Pour le borut dont il s’agit, on a obtenu 2304.600 en morceaux destines a étre conservés, 464,650 en morceaux divers devant entrer dans la préparation de la conservatine, et 106,360 en os, graisse, moelle et queue de l’animal. Toutes ces parties donnent un poids total de 3814,810 qui, comparé au poids brut du börur, laisse 2,190 représentants la perte par l’évaporation et le découpage.

Pendant que sont bouillis et rôtis les morceaux qu’on a degatines a ces préparations, on fabrique la conservaline Toutes les parties que nous venons d’indiquer comme employées à cette fabrication sont placées dans des chaudière avec deux litres d’eau par kilogramme de viande, et soumises à l’action d’un feu violent jusqu’à l’ébullition complète de l’eau. Le feu est ensuite modéré, le liquide écumé et dégraisé, el, après douze heures, passé au lamis. Les viandes restées sur le tamis el dans la chaudière sont mises sous presse, et l’on en exprime les sucs autant que possible.

Ces sucs, ajoutés au liquide tamisé, sont versés dans des chausses à filtrer, et le liquide ainsi épuré est soumis de nouveau à l’ébullition, durant laquelle on agile à la spatule. Quand le lout est réduit à consistance sirupeile, c’est-à-dire après six ou sept heures de feu modéré, on ajoute de la gomme et du sucre en quantité proportionnée à la mase du liquide ; on remue à la «palule durant dix minutes, et l’on transvase le liquide pour le laisser refroidir jusqu’à 35 degrés: centigrades. A ce moment, on verse centilitres d’alcool à 85 degrés par kilogramme de liquide, et la conservatine est préparée.

Cette conservatine, ou sorte de gelée , est placée dans de grandes terrines , à la température de 35 degrés centigrades ; les terrines sont portées au séchoir où sont suspendues les viandes ; puis chaque morceau est plongé dans la conservatine durant quelques secondes. On suspend de nouveau les viandes jusqu’au lendemain, pour attendre une seconde immersion.

Ainsi enveloppées de toutes parts de la gelée préservatrice, les viandes de toute nature seraient mises à l’abri de toute altération, pendant un temps que les exposants garantissent être d’un an au moins. Pour utiliser les viandes ainsi préparées, il suffit de les plonger quelques instants dans l’eau pure assez échauffée pour faire fondre l’enveloppe gélatineuse. On les traite alors comme à l’ordinaire, si elles sont crues; on les consomme, si elles sont bouillies ou rôties.

L’expérience du temps est nécessaire pour juger la valeur de cette méthode, et les essais que tente l’administration de la guerre sont extrêmement intéressants et importants, ils nous diront ce que nous devons attendre du procédé.

Déjà l’on a rendu publics les résultats d’une expérience faite au mois d’avril dernier. Une cuise de bœuf cru, du poids de 15 kilogrammes environ, et enveloppée depuis six mois de conservatine, a été découpée comme on le fait à l’étal. La viande, au rapport des témoins , avait conservé sa couleur vive, les chaires étaient fraîches et élastiques ; la graisse , les os, la moelle se présentaient dans l’état où se trouvent ces parties sur l’animal récemment abattu. Un morceau du pendre de gite, cuit sur le gril comme beef-leak ordi nais a été trouvé excellent, et un ju e compétent, M. Chevet, en a loué la saveur, comme il avait loué le fumet de la viande crue.

Si ce sucrés se confirme, les inventeurs de ce procédé auront certainement réalisé un grand progrès dans l’art de la conservation des matières animales. Il paraitrait que leur dé- couverte s’applique également à la conservation du poisson, du gibier, de la volaille, des légumes frais, des fruits, des graisses, du beurre, etc.

Pour transporter les aliments ainsi préparés, il serait inutile de les enfermer dans des vases particuliers; on pourrait les expédier en caisses ou même à l’air libre, comme toute autre denrée qui n’a rien à redouter des agents extérieurs.

Le prix de revient de ces préparations ne doit pas être élevé, car on utilise toutes les parties de l’animal, et même les viandes comprimées qui ont servi à préparer la conservatine. Assaisonnées convenablement, ces viandes sont employées à la fabrication de saucissons ou comestibles d’autre nature.

Voici enfin une découverte plus merveilleuse encore, la plus merveilleuse de l’Exposition universelle de 1855, si elle tient tout ce que le promet, comme nous pouvons l’espérer M. Lamy conserve dans leur état naturel toutes les substances le-plus altérables, les plus impressionnables, sans le soumettre préalablement à aucune dessiccation, cuisson ou compression, sans les enfermer hermétiquement dans le vide, sans les entourer d’une enveloppe protectrice.

C’est par l’application de la science, et non par hasard, que M. Lamy a trouvé sa méthode. Aujourd’hui industriel à Clermont-Ferrand. M. Lamy est licencie es sciences physiques et mathématiques, et professeur de l’Université. Il n’a pas révélé son secret, mais on sait quelles sont les deux opérations fondamentales qu’il fait subir aux substances qu’il veut conserver

La première consiste å précipiter ou à coaguler le principe albuminoïde dont la fermentation pat la cause primitive de la décomposition et de la putréfaction des matières organiques, animale, ou voué ales. La précipitation ou la cogulation de er principe a heu en vase cils, par l acion d’un corps gazeux choit par I inventeur. Dans beaucoup de cas, et, par exemple, pour la viande de boucher e, celle opération, prolongée dorant quelques jours, suivi pour que la substance soit indéfiniment inaltérable.

Mais, pour d’autres substances, comme le gibier, les fruits les légumes, il faut compléter cette première opération par une seconde qui a pour but d’enlever à l’atmosphère qui entoure la substance, l’oxygène sans lequel la fermentation et la putréfaction ne peuvent avoir lieu. L’inventeur emploie, à cet effet, certains sels qui ne sont d’ailleurs aucunement en contact avec l’aliment.

Annihiler le ferment, éloigner l’oxygène, tels sont les deux résultats que parait obtenir M. Lamy pour conserver les substances alimentaires. Il expose, dans sa vitrine , des gigots de mouton conservés, l’un depuis cinq ans, l’autre depuis dix ans, libres au milieu de l’atmosphère et sans aucune protection contre l’action des chaleurs de l’été ou contre les émanations dangereuses.

Des perdrix sont conservées avec leurs entrailles et leurs plumes. Des raisins, des abricots, des pêches , des reine-Claude, des poires de beurré, des oranges, des néttes, des truffes ont gardé leur aspect frais et vivant. Des choux fleurs ont gardé leur couleur et leur rigidité naturelles. Il parait qu’un gigot et des choux fleurs, semblables à ceux qui sont exposés, ont figuré avec honneur sur la table du chef de l’E- tat. Une maison de Paris fournie per l’inventeur a vendu, durant l’hiver dernier, des abricots et des pêches qui se payaient 4 fr. et 1 fr. 25 c. la pièce.

Le lait peut aussi être conservé par les mêmes moyens , et M. Lamy montre deux flacons bouchés à l’émeri, ouverts et fermés incessamment, dans lesquels est enfermé du lait trait il y a six mois, sans qu’il ait subi d’altération. Des betteraves , entières et coupée», du jus de betteraves , même de la levure de bière, ferment si instable, peuvent être conservés avec le même succès. M. Lamy peut montrer un magnifique chevreuil conservé depuis plus de deux ans, un saunion, un brochet, un turbot, destinés à figurer à un banquet dans quelque circonstance solennelle.

Il parait que ces procédés de conservation n’ajoutent qu’une dépense insignifiante au prix de la substance : 10 centimes par kilogramme de viande ou par litre de lait; A franc par 1000 kilogrammes de betteraves ou par hectolitre de jus.

 

Les avantages d’une telle découverte, comme de toutes celles dont nous venons de donner une idée, ne consistent passant dans la possibilité de pouvoir conserver les substances alimentaires d’une année à l’autre, que dans la facilité qu’elles fournissent de prendre de la viande là où elle est abondante et à bon marché, pour la porter sans perte là où elle est rare et chère.

Or, il est des pays, comme l’Amérique méridionale, comme le Canada, comme l’Australie, où les bœufs et les moutons se trouvent quelquefois en nombre considérable, et où l’on est réduit à les tuer pour prendre leur cuir ou leur suif. Si leur chair pouvait être conservée, il n’est pas douteux qu’elle trouverait å se placer sur les marchés européens, pour le plus grand profit des classes pauvres.

Souvent, il est vrai, les animaux qu’on immole ainsi sont âgés et dans un état de maigreur qui n’est pas favorable à la qualité de leur viande. Mais si l’industrie s’emparait de la question, elle trouverait facilement le moyen de soumettre les animaux à une sorte de petit engraissement préalable qui donnerait plus de valeur à leur chair.

Un des traits caractéristiques de l’Exposition universelle de 1855 sera incontestablement cette préoccupation’, qui se trabit sous tant de formes, du problème de la conservation des matières alimentaires, et tout particulièrement des viandes. La France parait destinée à garder la plus belle part d’initiative et de succès dans cette belle et utile industrie.

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